JEUNESSE - La délinquance juvénile

JEUNESSE - La délinquance juvénile
JEUNESSE - La délinquance juvénile

L’ensemble des comportements prohibés par la loi et les règlements, qui sont le fait de jeunes n’ayant pas atteint la majorité légale et que l’on désigne par l’expression de délinquance juvénile, constitue un phénomène complexe: c’est à la fois un phénomène individuel, un phénomène de bande, un phénomène de société, chacun de ces aspects ayant fait l’objet, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, d’études régulières et approfondies. Les criminologues ont ainsi fabriqué «un monstrueux pantin livré pieds et poings liés au jeu d’une interminable série de facteurs bio-psycho-socio-culturels». Pourtant, malgré la dénonciation de ces divers facteurs, il n’existe pas pour ce problème, à l’heure actuelle, dans le monde, une réponse opératoire unique qui permettrait d’articuler les diverses interventions, et le volume de la délinquance juvénile ne cesse de croître. D’une époque à une autre, d’un pays à un autre, le problème s’est toujours posé de savoir si le mineur délinquant doit être considéré comme un adulte en miniature et si la délinquance est un simple trouble de la personnalité.

1. La délinquance juvénile contemporaine

Il faut être extrêmement prudent dans l’analyse que l’on peut faire du phénomène de la délinquance juvénile à partir des statistiques dressées en France par les ministères de l’Intérieur et de la Justice. On doit tenir compte, en effet, des modifications intervenues sur le plan législatif (selon les périodes, certains actes sont criminalisés, d’autres sont décriminalisés) mais aussi des changements économiques et sociaux. La motorisation, le développement des grandes surfaces, la volonté de paraître, l’urbanisation, l’immigration, par exemple, ont modifié les conduites délinquantes. Ainsi, plus de la moitié des délits sont aujourd’hui liés à la motorisation (vols de voiture, vols dans les voitures, vols des accessoires de voiture, délits de fuite, infractions en matière de circulation, etc.); sur le plan géographique, sept départements totalisent à eux seuls près de 40 p. 100 de cette délinquance.

Mais le facteur essentiel d’incertitude est ce que l’on nomme le «chiffre noir», c’est-à-dire la délinquance juvénile non comptabilisée, qui est sans aucun doute plus importante que la délinquance cachée des majeurs. Ce chiffre s’explique par le silence que s’imposent les parents ainsi que les responsables d’établissements scolaires, afin de ne pas entacher la réputation d’une famille ou d’un établissement. Il correspond aussi à l’hésitation des victimes, qui ne déposent pas plainte lorsqu’elles apprennent que l’auteur de l’infraction est un mineur. Cette délinquance cachée a fait l’objet d’études aux États-Unis (Short et Nye en 1958, Erikson et Empey en 1963, Gold en 1970), au Canada (Fréchette et Leblanc, 1977), en Scandinavie (Elmhorn en 1965) et en Grande-Bretagne (West et Farrington, 1973). Selon ces études, le nombre de mineurs interrogés qui ont avoué avoir commis au moins un délit va de 53 à 90 p. 100.

Des différences existent aussi entre les statistiques policières et les statistiques judiciaires, puisque le procureur de la République, maître des poursuites en matière pénale, peut estimer que les faits reprochés à un mineur relèvent plutôt d’une procédure d’assistance éducative, c’est-à-dire d’une procédure civile visant à assurer la protection de l’enfance en danger physique ou moral. Il en sera ainsi, par exemple, pour les toxicomanes, au sujet desquels la loi pénale visant l’usage de stupéfiants peut paraître inadaptée.

Depuis le début du XXe siècle, on peut toutefois distinguer quatre phases dans l’évolution de la délinquance juvénile. Jusqu’à l’entre-deux-guerres, on note une certaine stabilité: 12 165 mineurs ont été jugés en 1939, contre 13 670 en 1912. Durant la guerre de 1939-1945, par contre, le nombre des mineurs jugés monte en flèche; il va presque tripler puisqu’il est, en 1943, de 34 811. Les dix premières années de l’après-guerre enregistrent une baisse très importante, le total des mineurs jugés redescendant en 1954 à 13 504. Mais, au cours des trente années suivantes, on constate à nouveau une remontée impressionnante de la délinquance, qui a plus que quintuplé: 26 894 en 1960; 46 779 en 1970; 56 959 en 1975; 66 450 en 1980; 71 519 en 1986. Or cette progression n’est pas liée à l’évolution démographique puisque le taux de délinquance qui était de 3,25 p. 1 000 en 1955 est passé à 9,1 p. 1 000 en 1977, à 9,8 p. 1 000 en 1980 et à 10,50 p. 1 000 en 1985.

Les jeunes de seize à dix-huit ans qui sont jugés chaque année sont de plus en plus nombreux (en 1955, ils représentaient 48,1 p. 100 des délinquants; en 1986, ils sont 64,7 p. 100), mais il faut noter que le taux des treize-seize ans ne cesse de progresser lui aussi car il est passé de 4,95 p. 100 en 1955 à 31,98 p. 100 en 1986. Les délinquants sont en majorité des garçons, même si la proportion des filles a eu tendance à augmenter, pour atteindre 10,58 p. 100 en 1986. Un tiers seulement des délits sont commis par des mineurs isolés, alors que 25 p. 100 sont commis à deux et 40 p. 100 à plus de deux; mais ce phénomène de groupe semble évoluer: les bandes structurées ayant une véritable sous-culture sont remplacées par des groupes informels à faible effectif qui se constituent surtout pour commettre une infraction (même si les liens d’amitié sont récents) ou pour partager des loisirs et commettre occasionnellement des délits. Les délits contre les biens sont les plus importants (en 1987, 75,3 p. 100 selon les sources judiciaires et 77,8 p. 100 selon les statistiques policières): 71,7 p. 100 des mineurs sont mis en cause pour vols; 8,1 p. 100 pour destructions et dégradations; 2,7 p. 100 pour coups et blessures volontaires; 1,1 p. 100 pour infractions aux mœurs,; 2,7 p. 100 pour toxicomanie.

Par rapport à l’ensemble de la délinquance, la proportion des mineurs est de l’ordre de 12 p. 100 en 1987, mais elle est supérieure pour: les vols de véhicules motorisés (34,12 p. 100); les cambriolages et vols

assimilés (28,99 p. 100); les incendies et destructions (25,54 p. 100); l’ensemble des vols (25,74 p. 100).

2. Les facteurs de la délinquance

Une telle évolution est inquiétante, d’autant plus que l’on note une concentration de la délinquance chez une minorité de jeunes. Ainsi, selon des études publiées par le Centre de recherches de l’éducation surveillée de Vaucresson, 70 p. 100 des délinquants viennent une seule fois devant la juridiction des mineurs (sans que l’on mette en place un important dispositif éducatif) et ne récidivent pas, mais 16,5 p. 100 des mineurs délinquants représentent, à eux seuls, 50 p. 100 des jugements rendus. Une étude américaine effectuée en 1972 par Wolfgang sur la délinquance connue va dans le même sens: pour 9 945 jeunes nés à Philadelphie en 1945, les 627 garçons (soit 6 p. 100) qui avaient commis cinq délits ou plus étaient responsables de la moitié de l’ensemble des délits et des deux tiers des délits violents.

Il faut se garder d’expliquer de tels passages à l’acte par une approche trop généralisante. Pendant longtemps, on tint pour démontré que les déficiences intellectuelles étaient la cause principale de la délinquance; or il apparaît aujourd’hui qu’elles ne sont pas le trait le plus important. Ces actes, en effet, sont toujours la résultante d’un ensemble de facteurs affectant de manière propre chaque individu. L’observation des mineurs délinquants conduit cependant à souligner l’importance de quatre facteurs particuliers: la famille, la vie sociale, l’adolescence et la place dans la société.

Il est banal de dire que les parents ont une tâche éducative importante, qui consiste à faire assimiler par l’enfant les principes d’autorité et de loi, à canaliser ses forces vers des valeurs sociales et morales et aussi à le contrôler. La délinquance juvénile correspond souvent à une faiblesse parentale, à une carence éducative. Elle se rencontre fréquemment dans les familles dissociées, que cette dissociation soit effective ou non, et dans des situations où l’enfant se trouve à certains moments dans un état de tension et de déséquilibre, souffrant dans ses besoins de sécurité et d’amour. La délinquance peut provenir aussi d’une éducation trop conformiste, trop rigide, qui empêche le mineur de s’exprimer.

Parmi les facteurs sociaux, l’échec scolaire est particulièrement important. La plupart des délinquants, en effet, sortent prématurément des circuits scolaires et n’ont aucun diplôme. Ils ont, en général, peu d’ambition et leur travail est insuffisant. Si les jeunes qui ont de telles difficultés risquent plus que les autres d’entrer dans un circuit judiciaire, des études nord-américaines sur la délinquance cachée précisent que plus le nombre de délits avoués par un élève est grand, plus ses résultats scolaires sont faibles. L’indiscipline scolaire (refus d’obéir aux enseignants, propension à troubler la classe, école buissonnière) est, elle aussi, un facteur significatif d’inadaptation. C’est à tous ces niveaux que le rôle de soutien des parents est primordial, car il existe un lien certain entre l’attachement aux parents, l’accumulation des difficultés familiales et l’engagement scolaire. C’est là qu’entre en jeu, en effet, le système scolaire, qui répond à certaines difficultés par des punitions, par des exclusions, par l’orientation de l’enfant vers des classes sans issue où celui-ci ne fera qu’attendre le terme légal de l’obligation scolaire. Bien entendu, les incidences d’une mauvaise scolarité seront nombreuses ensuite sur le marché du travail: les délinquants ont souvent un emploi non qualifié, qui n’offre aucune perspective et qui, par là, entraîne une instabilité professionnelle et une absence de projet à long terme.

Ces difficultés d’insertion scolaire et professionnelle ont aussi des retentissements sur le choix des camarades: plus un enfant fréquente des délinquants, plus il y a de risques qu’il commette lui aussi des délits. Ce n’est pas là une cause initiale de la délinquance, ainsi que l’ont montré Sheldon et Eleanor Glueck en 1956, mais les jeunes ont tendance à être attirés par des compagnons qui ont les mêmes sentiments qu’eux. À ce moment-là, l’incitation joue, et le passage à l’acte est facilité.

L’adolescence, par ailleurs, constitue une période de fragilité biologique et psychologique, au cours de laquelle commettre un délit peut, par exemple, prendre la signification d’une marque d’opposition mais aussi représenter un moyen d’attirer l’attention sur soi ou d’obliger des parents plus ou moins désunis à se rencontrer et à se concerter. Cet âge est celui d’une réorganisation personnelle face à la société et implique une émancipation par rapport à la famille, un renforcement de l’image de soi. C’est une période d’expérimentation de nouveaux comportements. Le mineur doit alors faire face à des sollicitations nombreuses et quelquefois contradictoires: l’honnêteté et la morale que l’on a apprises cèdent parfois, sous le coup d’une impulsion, à la réalisation immédiate de certains désirs. L’observation montre que beaucoup de jeunes ne peuvent donner de motifs précis à leurs actes: on «emprunte» un cyclomoteur pour le plaisir d’une promenade, pas nécessairement pour le revendre; on veut de l’argent rapidement, mais l’argent volé n’est pas toujours utilisé rationnellement.

Enfin, la place d’un jeune dans la société a des incidences sur les chances qu’il a d’entrer dans la délinquance. L’idée selon laquelle celle-ci n’existe que dans les classes inférieures est un mythe, mais il est certain que les récidivistes sont plus rares dans les classes supérieures. Malewska et Peyre, en 1973, ont signalé qu’il y a, en France, parmi les délinquants «officiels», deux fois plus de garçons dans les classes inférieures que dans la population totale. Le docteur Yves Roumajon, dans son livre Ils ne sont pas nés délinquants , émet l’hypothèse que les familles riches réussissent à empêcher leurs jeunes délinquants d’entrer dans le système pénal grâce à diverses interventions. Mais, à partir des études actuelles, il est difficile d’aller au-delà de la simple constatation d’une sur-représentation de la délinquance dans les classes inférieures, qui est sans aucun doute liée en France à la législation en vigueur. On parle aussi beaucoup de la délinquance des jeunes immigrés. Il faut surtout souligner les difficultés propres à la «deuxième génération»: mal intégrée dans notre société, voire rejetée, elle échappe à l’autorité des parents, restés attachés à une autre culture, et se trouve souvent en marge du système scolaire et professionnel. Une étude réalisée en France sous la responsabilité de Hanna Malewska-Peyre sur les mineurs pris en charge par la justice montre que la crise d’adolescence et le conflit de générations sont plus graves chez les jeunes immigrés et révèle combien il est difficile pour eux de se situer entre les deux cultures et de former un projet d’avenir revalorisant. Souvent, les difficultés tenant à cette origine ethnique vont de pair avec une situation familiale et sociale difficile.

Les théories de Tarde sur les conflits de culture, de Sutherland sur l’association différentielle ou de Durkheim sur le contrôle social ne permettent pas d’expliquer, dans la plupart des cas, les infractions commises par les jeunes: on ne peut pas ériger le vol en morale, et, généralement, les délinquants supportent très mal, par exemple, de se faire dérober leur véhicule. Néanmoins, l’aspect sociologique du phénomène est important dans un monde urbain de plus en plus mobile, au sein duquel les relations se désindividualisent et qui a négligé de s’occuper au préalable des possibilités d’animation de la cité et surtout des moyens de prévention. Dès lors, les jeunes les plus fragiles et les moins autonomes cherchent à affirmer ou à satisfaire des besoins instinctuels. Comme dans la plupart des manifestations de la vie, chaque individu a sa capacité propre de résistance et il en use à sa façon. Il reste que, en matière de délinquance juvénile, on est conduit à parler plutôt de probabilité et que l’on ne peut pas établir de rapport rigoureux entre la gravité de l’infraction et celle des troubles de la personnalité.

3. La réponse française au problème

Jusqu’au début du XXe siècle, la réponse au phénomène de la délinquance juvénile a surtout été d’ordre répressif; mais, depuis la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle conception en faveur de la primauté des mesures éducatives a bouleversé les législations. Cette idée continue à progresser et à modifier les comportements des travailleurs sociaux. La délinquance juvénile peut ainsi devenir, à l’extrême, un phénomène accessoire de la préadolescence et de l’adolescence, pour lequel il ne faut intervenir qu’en cas de nécessité et de manière à ne pas engorger les mécanismes de contrôle social.

L’ancien droit criminel français considérait le jeune délinquant, dès l’âge de sept ans, comme un délinquant en miniature et ne voyait pas de différence de nature entre la criminalité adulte et la criminalité juvénile. Seules les peines étaient moins fortes dans le second cas. Le Code pénal de 1810 a fixé la majorité pénale à seize ans (elle sera portée à dix-huit ans par la loi du 12 avril 1906) et subordonné la responsabilité pénale du mineur à la question du discernement: si les juges estimaient que le jeune avait agi avec discernement, celui-ci devait être condamné aux peines prévues par la loi, sous réserve d’une excuse légale atténuante. S’ils répondaient par la négative, le mineur était acquitté, mais selon les circonstances, il était remis à sa famille ou conduit dans une maison de correction pour y être élevé et détenu pendant le nombre d’années que le jugement déterminait (au maximum jusqu’à ce qu’il ait atteint vingt et un ans).

L’application de ces dispositions se révéla désastreuse: la capacité de discernement était difficile à appréhender, les jeunes délinquants s’acquittaient de leurs peines d’emprisonnement dans les mêmes prisons que les sujets majeurs, et le législateur avait négligé d’organiser les maisons de correction. Ainsi sont nées de l’initiative privée les institutions du Bon Pasteur et, en 1837, la célèbre maison de rééducation de Mettray, près de Tours, que Jean Genet décrira plus tard dans Le Miracle de la rose ... C’est à cette époque que Charles Lucas, inspecteur général des services administratifs, se fait le théoricien des maisons d’éducation: son système repose sur un régime progressif ayant pour cadre trois quartiers distincts, sur la mise au travail dans les ateliers et sur l’enseignement d’une profession. Mais il comporte des éléments négatifs: un silence rigoureux est imposé pendant le travail, l’instruction est refusée aux jeunes du quartier de punition, l’emprisonnement solitaire est prévu à titre de sanction – toutes dispositions qui entretiennent une ambiguïté entre la rééducation et la répression. La loi du 5 août 1850 vient néanmoins consacrer ce système, qui sera appliqué dans les colonies agricoles d’abord, puis dans les colonies maritimes et industrielles. Les jeunes ayant agi sans discernement et les jeunes détenus condamnés à un emprisonnement de six mois à deux ans sont conduits dans une «colonie pénitentiaire», où ils sont élevés en commun, sous une discipline sévère, et occupés aux travaux de l’agriculture, en même temps qu’on leur donne une instruction élémentaire. Les jeunes qui sont condamnés à plus de deux ans d’emprisonnement et les insubordonnés des colonies pénitentiaires sont orientés vers des «colonies correctionnelles».

La loi du 19 avril 1898 offre au juge la possibilité de confier le mineur à un tiers digne de confiance ou à une institution charitable. En 1911, l’administration pénitentiaire est rattachée au ministère de la Justice et non plus au ministère de l’Intérieur. La loi du 22 juillet 1912 crée la «liberté surveillée», c’est-à-dire une mesure éducative qui permet au magistrat de suivre et d’aider le mineur dans sa famille. Elle supprime, en outre, le critère du discernement en matière d’évaluation de la responsabilité pour les moins de treize ans, qui deviennent alors pénalement irresponsables et sont présentés devant le tribunal civil, tandis que les mineurs de plus de treize ans comparaissent devant le tribunal pour enfants et adolescents. Cette réforme reste cependant insuffisante: le tribunal pour enfants est une formation du tribunal correctionnel; l’exercice de la liberté surveillée est confié à des délégués bénévoles; les examens de personnalité sont facultatifs, et, comme on n’a pas su créer des internats appropriés, les colonies reçoivent toujours une population cosmopolite. C’est ainsi qu’en 1934 s’organise une vive campagne de presse qui dénonce les bagnes d’enfants et qui aboutit à la fermeture des colonies de Mettray et d’Eysses et à une réforme profonde de certains établissements.

C’est l’ordonnance du 2 février 1945 qui, en France, régit encore les réponses au problème de l’enfance délinquante (celles qu’y donnent les principaux pays de l’Europe communautaire sont résumées dans le tableau). Cette ordonnance s’inspire de la théorie de la défense sociale et pose deux principes: d’une part, l’établissement d’un privilège de juridiction et la mise en place de juridictions et d’institutions spécialisées ; d’autre part, le principe selon lequel la mesure éducative est la règle et la sanction l’exception . Du premier point découle le fait que la spécificité du traitement des mineurs s’inscrit désormais dans les différentes phases judiciaires.

Pour la poursuite des infractions, un membre du parquet est spécialisé dans les affaires de mineurs; c’est lui qui décide de l’opportunité des poursuites pénales. Pour l’instruction des dossiers, le juge des enfants est saisi pour tous les délits simples et les contraventions de la cinquième classe; le juge d’instruction, spécialement chargé des affaires de mineurs, est compétent principalement pour toutes les infractions complexes et obligatoirement pour les crimes. Ces deux magistrats de l’ordre judiciaire sont nommés par décret du président de la République (sur avis du Conseil supérieur de la magistrature) pour une durée de trois ans renouvelable. Étant tous les deux magistrats du siège, ils bénéficient de garanties personnelles et professionnelles assurant leur indépendance. Ils ont pour mission, à ce stade de la procédure, de constituer un dossier qui sera soumis à la juridiction de jugement. Ils doivent établir les faits, instruire à charge et à décharge, mais aussi recueillir tous les éléments sur la personnalité du mineur et son environnement familial.

Pour le jugement, il existe quatre juridictions compétentes selon la gravité de l’infraction et l’âge du mineur. Les contraventions des quatre premières classes relévent du tribunal de police, mais le juge des enfants peut être saisi si une mesure éducative apparaît nécessaire; les délits et contraventions de la cinquième classe peuvent être jugés par le juge des enfants, statuant seul en chambre du conseil, ou par le tribunal pour enfants, présidé par le juge des enfants assisté de deux assesseurs qui ne sont pas des magistrats professionnels mais des personnes choisies par le ministère de la Justice en raison de l’intérêt qu’elles portent aux problèmes de l’enfance. La décision peut alors être de divers types, mais le juge des enfants ne peut prononcer seul qu’une remise à parent ou une admonestation assortie ou non d’une mesure de liberté surveillée. Les crimes sont jugés par ce même tribunal pour enfants, si le mineur poursuivi a moins de seize ans au moment des faits et, dans les autres cas, par la cour d’assises des mineurs, présidée par un conseiller de la cour d’appel et composée de deux juges des enfants et de neuf jurés tirés au sort sur la liste départementale. Par ailleurs, sur le plan institutionnel, a été créée au ministère de la Justice, la direction de l’éducation surveillée, qui a pour vocation de prendre en charge les mineurs délinquants, et les moyens d’appliquer la nouvelle loi ont été mis en place. L’exécution des mesures de liberté surveillée est confiée à des délégués professionnels.

Le second principe qui inspire l’ordonnance de 1945 (la mesure éducative est la règle, la sanction l’exception) entraîne plusieurs conséquences. La majorité pénale reste fixée à dix-huit ans. On ne pose plus la question du discernement, mais on distingue néanmoins toujours deux catégories de mineurs: ceux qui ont moins de treize ans et ceux qui ont entre treize et dix-huit ans. Les premiers ne peuvent jamais faire l’objet d’une peine. Seules des mesures éducatives peuvent être ordonnées à leur endroit. Au stade de l’instruction, la détention provisoire n’est plus possible, même en cas de crime, depuis la loi du 30 décembre 1987, applicable à compter du 1er mars 1989. Pour ceux qui ont entre treize et dix-huit ans, le principe édicté reste valable, mais l’ordonnance prévoit qu’ils pourront faire l’objet d’une condamnation à une peine lorsque les circonstances et leur personnalité l’exigeront. À l’instruction, la détention provisoire doit être exceptionnelle et limitée dans le temps. D’après les lois du 30 décembre 1987 et du 6 juillet 1989: en matière de délits, elle n’est plus possible avant 16 ans; entre 16 ans et 18 ans, elle ne peut excéder un mois (sauf prolongation exceptionnelle d’un mois par ordonnance motivée) lorsque la peine encourue est inférieure à 7 ans d’emprisonnement (dans les autres cas, on suit les règles applicables aux majeurs, mais la détention ne peut durer plus d’un an); en matière criminelle, elle ne peut dépasser, pour les 13-16 ans, six mois (sauf prolongation exceptionnelle pour six mois par ordonnance motivée); pour les plus de 16 ans comme pour les majeurs, elle est d’un an (sauf prolongation exceptionnelle pour un an par ordonnance motivée).

Outre l’admonestation et la remise à un parent ou à un tiers digne de confiance, les mesures éducatives possibles actuellement sont: la liberté surveillée, soit à titre provisoire au cours de l’instruction, soit au titre du jugement jusqu’à dix-huit ans au maximum; la mesure de protection judiciaire au stade du jugement (un éducateur est alors désigné pour suivre et aider, pour une durée de cinq ans au maximum, le mineur qui avait plus de seize ans au moment des faits); le placement dans une structure de l’éducation surveillée ou dans un établissement habilité par le ministère de la Justice. Il existe, pour cela, différentes formules (toutes en centres non fermés): des centres d’accueil et d’observation, des internats scolaires ou professionnels, des foyers d’action éducative où les jeunes travaillent à l’extérieur ou sont scolarisés; le placement dans un établissement médical ou médico-pédagogique; le placement dans les services de l’aide sociale à l’enfance au cours de l’instruction ou dans les cas où le mineur a moins de treize ans.

Les jeunes qui sont soumis à des peines d’emprisonnement et à des détentions provisoires sont placés dans un quartier spécial des maisons d’arrêt ou dans un centre spécialisé de jeunes détenus (Fleury-Mérogis ou Oermingen, par exemple), où ils bénéficient d’une formation professionnelle dans la mesure du possible. Si une sanction pénale (amende ou emprisonnement) est prononcée, le mineur bénéficie, outre les circonstances atténuantes, d’une excuse atténuante de minorité s’il a moins de seize ans (elle est facultative entre seize et dix-huit ans). Par le jeu de cette disposition, la peine ne peut s’élever au-dessus de la moitié de celle à laquelle le mineur serait condamné s’il avait dix-huit ans et, en matière criminelle, elle ne peut être supérieure à vingt ans de réclusion criminelle. Amende et emprisonnement peuvent être assortis d’un sursis. Depuis la loi du 19 juin 1983, les mineurs comme les majeurs peuvent être condamnés à une peine de «travail d’intérêt général»; le nombre d’heures qu’ils devront effectuer au profit de la collectivité sera de la moitié de celle qui est prévue pour les adultes, soit 120 heures au maximum. Toutes les décisions de cette sorte sont inscrites sur le bulletin no 1 du casier judiciaire.

D’après les statistiques, on peut constater une baisse importante des cas n’ayant donné lieu à aucune suite éducative ou pénale (en 1957, 76,63 p. 100; en 1967, 66,93 p. 100; en 1986, 59,2 p. 100), mais aussi des cas ayant donné lieu à une mesure de liberté surveillée ou de placement (en 1957, 42,58 p. 100; en 1967, 22,92 p. 100; en 1986, 5,45 p. 100). En revanche, les mesures répressives augmentent régulièrement (en 1957, 9,52 p. 100; en 1967, 28,88 p. 100; en 1986, 38,54 p. 100). Les raisons de cette situation sont nombreuses. L’une d’elles tient au vieillissement de l’ordonnance du 2 février 1945, qui a prévu des règles procédurales lourdes et inadaptées à des situations de plus en plus mouvantes. Il faut souligner aussi l’évolution des méthodes et des structures éducatives, largement ouvertes sur l’extérieur et soucieuses de maintenir des liens entre le mineur et son milieu naturel.

4. L’expérience du Québec et la primauté de la mesure éducative

Le Québec a tenté une intéressante expérience de déjudiciarisation, fondée sur une loi du 15 janvier 1979, qui a été revue en 1984 et qui a soustrait un certain nombre d’attributions à la cour du bien-être social pour les transférer à des structures administratives qui sont représentées par le directeur de la protection de la jeunesse. Tous les mineurs de moins de quatorze ans ayant commis des actes contraires à la loi et aux règlements sont déférés pour une prise en charge sociale au directeur de la protection de la jeunesse. Ce dernier est chargé de leur orientation. Si la mesure éducative est acceptée par le mineur, le directeur de la protection de la jeunesse peut clore le dossier pénal, quelle que soit la nature de l’infraction commise. Néanmoins, s’il l’estime nécessaire, il peut saisir le tribunal de la jeunesse.

Toute l’ambiguïté de ce système réside essentiellement dans la difficulté que peut éprouver le directeur de la protection de la jeunesse à se prononcer sur la culpabilité du mineur, à remplir une fonction de nature sociale, à accorder au délinquant et à sa famille des garanties suffisantes.

À la lumière de cet exemple, mais aussi de ceux de la France et des autres pays européens évoqués dans le tableau, on peut constater que, après une longue évolution, la primauté de la mesure éducative est devenue, en matière de délinquance juvénile, un choix fondamental dans la plupart des pays. Mais encore faut-il qu’une politique de prévention générale soit menée. Sur le plan judiciaire, la France, après la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, s’est engagée dans cette voie, et le juge des enfants a reçu de l’ordonnance du 23 décembre 1958 et de la loi du 4 juin 1970 le pouvoir de prendre des mesures d’assistance éducative à l’égard des mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou dont les conditions d’éducation sont gravement compromises. Sur le plan administratif, les directions des affaires sanitaires et sociales sont chargées, en application du décret du 7 janvier 1959, de mettre en œuvre des actions de prévention à l’égard des familles dont les conditions de vie risquent de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou les conditions d’éducation de leurs enfants. Ainsi se sont développés les services sociaux de secteur, les services d’action éducative et d’aide thérapeutique à la famille, les clubs et équipes de prévention. Mais, au-delà de ces réponses spécifiques, il faut souligner encore une fois la nécessité de développer une politique sociale réelle pour les jeunes.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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